Les 18 et 19 décembre 2018, l’Institut de Formation de la FSU a organisé 2 journées de réflexion et débats autour du syndicalisme et de l’extrême- droite.

Le 1er intervenant était Ugo Palheta, sociologue : « L’extrême droite, une offensive nationaliste et raciste » 1

Ce ne sont pas Jean-Marie Le Pen et le FN qui ont inoculé le virus raciste dans la société française, car le racisme est constitutif d’une partie de la société française, présent dans tous les milieux. La gauche n’en est pas exempte : il suffit de se souvenir, entre autres, de Valls qui s’est vanté d’avoir plus expulsé que la droite sans oublier son discours sur les Roms. Entre 1980 et 2000, le racisme a fait l’objet d’un double consensus : les immigrés sont considérés comme la source de nombreux problèmes (chômage – délinquance – échec scolaire etc. ). S’y est ajouté petit à petit le consensus islamophobe, au nom d’une laïcité dévoyée. La laïcité est donc devenue compatible avec le FN, et ce n’est pas le FN qui s’est rallié. La contestation du néo libéralisme ne « trouve » pas sa juste cible (patrons, capitalisme), mais se mue en colère nationaliste.

Le projet fondamental du FN n’a pas changé, il est toujours de type fasciste, même s’il ne prend plus les mêmes formes visibles (renaissance / régénération d’une nation mythique), il reste la mise au pas voire la mise de côté violente des éléments allogènes de cette nation.

Le tournant social du FN : Il réserve une place importante aux questions économiques, une sorte de keynésianisme mou (attention aux bas salaires, retraites..) ; ce tournant est évidemment opportuniste et factice.

Mais la grille de lecture reste la même : p. ex. le déficit de la sécurité sociale serait dû aux immigrés. Rappelons que le FN a réalisé ses meilleurs scores entre 2012 et 2017, ce n’est pas seulement l’effet Philippot, Nicolas Bay pense que le score aurait été meilleur si le FN s’était appuyé sur fondamentaux du FN (80 % de son électorat se déclare raciste ou un peu raciste). De même, la mise en sourdine de l’antisémitisme est tactique, car l’islamophobie est plus rentable.

La notion de « populisme » est confortable pour le RN (plus valorisant que fascisme). Le RN ne reprend jamais telles quelles des théories de la gauche, mais leur applique toujours une lecture nationaliste, p. ex. il se livre à des attaques contre le mondialisme (pas contre le capitalisme !) affairiste et financier mais aussi par en-bas par le prétendu lien entre migrants et djihadisme.

L’antiracisme doit rester garder toute sa place au coeur de l’antifascisme. Il s’agit de pointer l’ancrage structurel et étatique du racisme, notamment les discriminations y compris matérielles, envers les musulmans, mais aussi Roms… et dans la dimension policière.

En tant que 2e intervenant, ce fut le tour de Roger Martelli, historien : « Migrations, travail et valeurs de la gauche » 2

Le « pacte de Marrakech », un texte de l’ONU peu contraignant, a été l’occasion d’une levée de boucliers de la droite et de l’extrême droite. La migration est le terrain de tous les fantasmes, avec des réactions irrationnelles, des assertions sans preuves.

Ce contexte idéologique s’est construit sur plusieurs décennies, notamment dans les années 1990, avec la chute du communisme, et l’émergence du concept de Huntington, le « choc des civilisations » : un occident chrétien, économiquement fort, démographiquement faible contre monde islamique (situation inverse).

Pour la Nouvelle droite, A. de Benoist : le XXI e s. sera dominé par les questions de l’identité, « ne plus être chez soi ».

La gauche doit s’attaquer de front à ces thématiques.

Argumentaire et positions de principe :

Les flux migratoires concernent 3 ou 4 % des populations sur la planète ; 2/3 des migrants du Sud vivent dans des pays du Sud. La migration des populations fragiles va s’accentuer, est-ce que c’est humain / raisonnable qu ‘ils aillent dans les pays du Sud ?

Ce n’est pas la migration qui dégrade pas le marché du travail, c’est la dérégulation.

L’instauration de contrôles stricts, avec les frontières qui deviennent des murs, est inefficace, inhumaine, et cela produit des clandestins pour le plus grand bonheur de certaines entreprises. Le système est coûteux : le budget de Frontex a été multiplié par 17 en 10 ans.

L’aide au développement est conditionnée par le fait de retenir les migrants ! Tout cela ne tarira pas les flux migratoires, ce sont des gens avec des moyens qui viennent chez nous.

Quelle ligne de conduite adopter ?

Affirmer comme un droit imprescriptible le droit à la mobilité des humains (alors que marchandises et capitaux circulent librement).

Affirmer la nécessité d’un accueil, assorti de l’égalité des droits.

Cela pose une question de société essentielle : celle de la mondialité, d’un développement humain sobre et du partage.

Ne faire aucun cadeau à l’extrême droite : se battre idéologiquement, remettre la question de l’égalité (et combat contre discrimination, égalité – citoyenneté – solidarité) comme priorité, et rejeter celle de l’ identité.

L’extrême droite ne gagne pas sur la qualité de son programme mais sur les images qu’elle développe et impose, donc il faut savoir la contrer sur ce terrain (et affirmer un projet de société).

Danièle Lochak, ancienne professeure de droit public, ancienne présidente du GISTI 3 : « L’impasse des politiques migratoires européennes, attentatoires aux droits des migrant.es »

Rappelons que depuis 1993, les sans papiers n’ont plus le droit à la protection sociale.

La politique européenne d’immigration et d’asile : cf traité d’Amsterdam (1997), création de Frontex et mise en place d’une politique commune en matière d’asile, avec une « gestion efficace des flux migratoires », un traitement « équitable » de celles et ceux qu’on accueille, la lutte contre l’entrée illégale. Les directives doivent d’abord être transposées dans les législations nationales.

Création d’un système intégré de protection des frontières extérieures, avec les frontières de Schengen ; plus de contrôle aux frontières intérieures. politique commune des visas (France 1986), avec liste des pays, ceux qui sont dispensés ne présentent aucun « risque » migratoire ou de sécurité.

Les réseaux de passeurs sont une conséquence de la politique des visas, pas la cause.

Albert Ogien, sociologue 4

Il ne faut pas hésiter à réintroduire le terme de « fasciste » dans le débat. On a tendance à atténuer, parlant de droite traditionnelle avec quelques extrémistes. On considère généralement comme modèles du fascisme Hitler / Mussolini et si les modèles actuels ne correspondent pas exactement on trouve que le terme n’est pas adapté et il est récusé.

Attardons-nous sur le cas de Steve Bannon : il dit vraiment ce qu’il pense, dans des déclarations officielles. Il propage la haine, glorifie la violence, demande une police de la pensée, donc il s’en prend à un certain nombre de droits démocratiques : liberté de presse, d’opposition, syndicalisme…

Fiche d’identité :

C’est un suprémaciste blanc, avec l’idée de la dévotion à un leader charismatique qui sauve la civilisation blanche, un adepte de la démocratie directe (question du référendum) : supprimer les intermédiaires, relation directe chef – peuple. Toute opposition nuit au « bien commun ».

Il est indispensable de déprécier les Lumières, donc la raison et le progrès et ainsi supprimer de l’esprit des classes moyennes le respect de l’expression des opinions, quelques droits, l’idée de tolérance…

Rompre délibérément et spectaculairement avec la bien pensance, se positionner contre l’homosexualité, pour le racisme et la misogynie, pour la patrie.

Endosser des positions moralement irrecevables, pour une pensée prétendument décomplexée : nier le changement climatique, affirmer que nazis et anti nazis sont pareils (cf Trump)… Détruire l’idée de vérité, ainsi la raison sera vaincue.

Réclamer la séparation des enfants migrants de leurs parents. Aucune compassion pour les migrants noyés (Salvini : on ferme les ports, le reste n’est pas notre affaire), fermer les frontières aux musulmans. Provoquer la confusion dans le débat public.

Inciter les individus à abandonner les principes d’humanité (chemin possible vers l’extermination, qui est le résultat d’un long travail de déshumanisation).

Réarmer moralement de l’Occident blanc, chrétien et anti musulman.

Bannon est réaliste et cynique, ce n’est pas un idéologue (différence avec Marion Maréchal Le Pen, qui prône le combat culturel sur les vraies valeurs de la tradition s’appuyant sur les idées de Gramsci : victoires culturelles → cette hégémonie entraînera la prise de pouvoir).

Pour Bannon il s’agit de gagner les élections, même si c’est d’une voix : d’abord le vote, ensuite on fera ce qu’on voudra. La 5e République constitue un excellent terrain pour cela. Le pouvoir peut précéder le changement des mentalités.

Une élection est une question technique, pour la remporter ne serait-ce qu’une voix, à partir de données objectives (cartes et comportements électoraux, p. ex. avec Facebook – Cambridge analytica à Londres, dont Bannon a été un des mentors : il a dû fermer, Facebook a dû changer ses logiciels – aujourd’hui transformé en Data propria); cf aussi interventions russes, travail du Sénat US ; Bannon pense qu’il a « fait » Trump, Bolsonaro, le Brexit, et compte gagner les élections européennes avec l’extrême droite. Son outil : the Movement, logé à Bruxelles. Par prudence, ne donne jamais l’ apparence de mouvemens fascistes, sauf par le racisme et encore : « on n’a rien contre les musulmans sauf les islamistes ».

Repérer sur réseaux sociaux gens qui pourraient partager une partie de ces points de vue : activité principale, dissuader les électeurs noirs et homos d’aller voter, car ils peuvent faire gagner les Démocrates. P. ex. reprennent « black lives matter » pour dire que les démocrates n’ont rien fait pour eux, ce qui est plus malin que de la propagande pure et simple.

Il attache une importance primordiale à la communication de masse et aux réseaux sociaux.

Les 3 étapes du fascisme :

– propagande —→ fascisme soft en vue de la banalisation des idées

– accession au pouvoir

– application du programme

Le fascisme est plus une attitude qu’une opinion : anéantir un ennemi maléfique et sournois qui porte atteinte à l’identité, qui met en péril une nation, une civilisation ; c’est une vision paranoïaque, apocalyptique et barbare. Cette attitude devient contagieuse, quand elle n’est pas contrée publiquement.

Ensuite on instaure le gouvernement par la terreur, les droits sont suspendus, la vérité unique provient des dogmes de l’État. Dans le Brésil de Bolsonaro, un projet fondamental consiste à s’en prendre à l’école, en éradiquer le « communisme » et les méthodes de Paolo Freire. 5

Ces offensives sont actuellement coordonnées au niveau mondial.

En Europe, a existé un fascisme soft : aux origines Thatcher et Reagan, attaques antisyndicales, ensuite atteinte aux droits sociaux et politiques car céder aux revendications syndicales serait accroître l’inflation.

Ces politiques ont été poursuivies par les gouvernements libéraux, avec leur lot d’attaques contre  les droits des femmes, l’avortement, l’homosexualité etc. (avec des fonds russes), contre l’immigration : Mexicains, musulmans, une des cause du Brexit a été la crainte de l’invasion blanche (gens de l’Europe de l’Est). Une caractéristique de ces mouvements reste le fond de défense de la civilisation chrétienne, avec le refus de la « repentance », et la défense de la colonisation.

David du collectif des 4 (avec un politologue, sociologue, psychanaliste), et Jean-Paul Gautier docteur en sciences politiques (extrême droite en France, galaxie Dieudonné, de Le Pen à Le Pen : continuités et ruptures)

Sur le personnage de Soral : nationaliste révolutionnaire, national socialiste français non racialiste (se dit-il), usage dévoyé du marxisme.

Antisémite (sous le cache sexe de l’antisionisme), homophobe, misogyne, qualifie Obama et Taubira de « nègres de maison ». Son site « égalité réconciliation » : prône la gauche du travail, la droite des valeurs, 8 millions de vues, thèses complotistes sur Bataclan, 3 M de vues (ce serait un coup du Mossad !), ami de JM Le Pen ; il a joué un rôle dans la structuration de l’offre « sociale » du FN.

C’est un fasciste : d’après lui, celui qui est le plus fort est celui qui a raison ; le combat physique montre la qualité de la pensée. Il est instructeur de boxe, construit une offre d’extrême droite « punk », vulgaire, langage jeune, alliance inédite des jeunes de banlieue et de l’extrême droite contre les Juifs, exaltation de la virilité, de la cause palestienne 6… Il comble un manque.

Son discours est paranoïde, Soral est le résistant à la figure monstrueuse qu’il a lui-même érigée !

C’est un individu composite et contradictoire : libertin (discours sexuel) et rigoriste, laïcard et antilaïque…

Il suit l’actualité des gilets jaunes, avec Lénine comme fond, se réjouit de l’alliance des classes populaire, et de la petite bourgeoisie. 7

Soral, un tâcheron du concept, en complément du portrait

Il est en désaccord avec Marine Le Pen parce qu’il n’a pas été nommé pas tête de liste, « Marine m’a tué ». (en 2009 quitte le FN).

Son site « Egalité et réconciliation » est aussi un vaste business  qui propose stages de survie, plats cuisinés bio, vins, T shirts.

« Ennemi du système » il reprend quand même des cibles habituelles de l’extrême droite, p. ex. la jeunesse des banlieues, composée de « névrosés sociaux » qu’il ne considère pas comme des enfants d’ouvriers…

Il a traité une mannequin, Biniti Bantoura, de « pute à juifs », il attaque les Roms, surarmés, qui auraient le goût du sang…

Il est en lien avec l’extrême droite « classique » :« Unité radicale », Serge Ayoub, Civitas…

Selon lui, la Shoah est une escroquerie, il soutient les négationnistes, « seuls prisonniers politiques en Europe » et défend les « sédentaires productifs » (cf Poutine) contre les nomades.

« L’esprit juif domine et avilit l’époque » : l’affaire Merah, le réchauffement climatique, 11 septembre… tout est de la faute du complot juif.

Donc pétri de contradictions : entre marxisme, et chômeurs parasites, chantre du capitalisme, de la colonisation française… Il a échoué dans sa tentative de relancer le « cercle Proudhon » (cf début XXe), avec extrême droite et syndicalistes.

Il vante des régimes autoritaires et brutaux : Assad, Corée du Nord, Hussein, Iran, Poutine…

Seuls 2 pays ne seraient pas aux mains des sionistes : l’Iran et la Corée du Nord !

Il fait l’objet de plusieurs procès : dont un avec risque de prison ferme (caricatures sur son site) 8, il glorifie les Vendéens, s’en prend à Vatican 2, considérant la laïcité comme une religion maçonnique.

Pour ces raisons il ne paraît pas compatible avec la dédiabolisation du FN.

Sébastien Chatillon, Solidaires / Visa, Verveine Angeli, Solidaires, Pascal Debay CGT

En 2017, entre le premier et le deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a augmenté son score de 3 M de voix ! Depuis la décision du Brexit, les actes racistes ont augmenté de 29 % en Grande Bretagne.

Que faire contre l’extrême droite ?

Pour les syndiqué.es de la FSU, se documenter sur le site http://institut.fsu.fr/ et lire nos publications comme En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite

La banalisation des idées d’extrême droite est un danger pour la démocratie, pour les droits sociaux, pour les libertés. Répliquer à leur propagation là où on travaille, là où on vit, suppose de se doter d’arguments solides. Ce livre contrecarre près de 80 de ses slogans en s’appuyant sur des données solides.

Il s’agit de donner des éléments aux salariés, ne pas se contenter de rester entre soi lors d’opérations qui ne réunissent que des militant.es convaincu.es et informé.es. Dans ce cadre, ouvrir de vrais débats, y compris autour de débats « piégés » avec des propositions du FN, pour approfondir la réflexion. La CGT a placé ces activités au coeur de son activité, avec des fiches (cf la « Nouvelle Vie Ouvrière ») pour détricoter le discours de l’extrême droite.

Armer les militants confrontés à des actes racistes ou des discriminations afin qu’ils puissent intervenir dans la vie quotidienne, notamment sur les lieux de travail.

Solidaires travaille avec la FASTI 9 pour la déconstruction des stéréotypes. On peut s’appuyer sur des textes officiels, des rapports gouvernementaux, du défenseur des droits….

Il existe aussi de nombreux documents utiles sur le site de VISA 10, https://www.visa-isa.org/, p. ex. dossier VISA n°5 : Ces gilets bruns qui polluent les gilets jaunes.

A nous qui pensons que le pire n’est jamais certain, de nous engager pour lutter contre les préjugés, les mensonges, et l’imposture de l’extrême droite.

Compte rendu de Jean-Louis HAMM

1Auteur de : « La possibilité du fascisme : France, la trajectoire du désastre » (La Découverte, 2018)

2Auteur de : « L’identité c’est la guerre », éd. Les liens qui libèrent, 2016

3Groupe de Soutien et d’Information des Immigrés

4Auteur avec Sandra Laugier de : « Le principe démocratie : enquête sur les nouvelles formes du politique », Paris, La Découverte, 2014.

5Paulo Freire (1921 – 1997) est un pédagogue brésilien. Il est surtout connu pour ses efforts d’alphabétisation visant les personnes adultes de milieux pauvres, une alphabétisation militante, conçue comme un moyen de lutter contre l’oppression.

6: Mais aucune analyse sur la politique israélienne, la situation des Palestiniens, qu’il ne connaît pas, ce n’est qu’un prétexte pour l’attaque contre la figure du Juif.

7: par différenciation avec le site des « cercles nationalistes » l’extrême droite classique.

8L’essayiste d’extrême droite Alain Soral a été condamné, jeudi 17 janvier 2019, à un an de prison ferme pour injure raciale, provocation et incitation à la haine raciale après ces propos sur la communauté juive.

9Fédération des associations de solidarité avec tous-te-s les immigré-e-s.

10 VISA (Vigilance Initiatives Syndicales Antifascistes) est une association intersyndicale composée d’une cinquantaine de structures syndicales : la FSU et plusieurs de ses syndicats, l’Union Syndicale Solidaires et plusieurs de ses syndicats, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF et le syndicat de la Magistrature. est une association intersyndicale composée d’une cinquantaine de structures syndicales : la FSU et plusieurs de ses syndicats, l’Union Syndicale Solidaires et plusieurs de ses syndicats, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF et le syndicat de la Magistrature.