Nous avons encore tous en mémoire les fortes mobilisations du printemps 2019 contre le projet de loi Blanquer sur l’Ecole de la confiance, et notamment contre l’article 6 qui programmait la disparition d’une partie des directeurs d’écoles ; les écoles primaires devant être noyées dans des établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) regroupant écoles primaires et collèges. Ce projet rappelait celui des EPEP (établissements publics de l’enseignement primaire) porté, en son temps, par les ministres de l’Education du gouvernement Fillon et contre lequel toutes les organisations syndicales s’étaient opposées.
Le suicide à l’automne de notre collègue Christine Renon et les très fortes sollicitations des directeurs d’école dans la gestion de la crise sanitaire actuelle montrent que, plus que jamais, il est urgent que le ministre Blanquer reprenne les travaux sur le dossier de la direction d’école. Le SNUipp-FSU a adressé un courrier en ce sens au ministre, le 11 mai 2020.
Et voilà qu’une députée LREM – Cécile Rilhac – a déposé une proposition de loi visant à modifier la fonction de directeur d’école. Cécile Rilhac fait partie, depuis longtemps, du sérail de Blanquer puisque c’est elle qui a défendu les EPSF dans le cadre de la loi Blanquer.
Une fois cela posée, qu’espérer de bon avec cette proposition de loi intitulée bizarrement « PROPOSITION DE LOI créant la fonction de directeur d’école », et s’articulant autour de 7 articles ?
L’exposé des motifs peut sembler répondre aux attentes des directeurs d’école révélées par les résultats de la consultation de novembre 2019 du ministère sur l’exercice de la fonction de directeur et directrice d’école (29 000 réponses). Toutefois, elle n’est qu’un miroir aux alouettes permettant au gouvernement de revenir avec son projet d’EPEP.
Plus de temps et une meilleure reconnaissance financière ?
L’exposé semble reconnaître la nécessité d’accorder plus de temps aux directeurs pour exercer leurs fonctions. Ainsi, un directeur de 10 classes pourrait bénéficier d’une décharge complète ; une demi-décharge pour les écoles à partir de 5 classes .
On pourrait croire que la députée ait entendu cette revendication, légitime, des directeurs d’avoir plus de temps pour pouvoir mieux se consacrer aux aspects pédagogiques de la fonction, aux projets avec leur équipe. Or, l’article 2 précise que « les directeurs d’écoles de plus de 8 classes (…) ne sont plus chargés de classe. Si leur mission de direction n’est pas à temps plein, le directeur peut être amené à exercer des missions d’enseignement, d’accompagnement, de formation ou de coordinations (pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), réseaux d’éducation prioritaire (REP), Réseau d’éducation prioritaire renforcé (Rep renforcé), regroupement pédagogique intercommunal (RPI)) ». Si l’allègement de la charge de classe est clairement avancé, cela s’accompagnera d’autres missions toutes aussi chronophages, extérieures parfois au fonctionnement de l’école. Plus de temps pour plus de missions, pour remplacer au pied levé les enseignants absents et palier aux manques de personnels (rappelons que l’IA du Bas-Rhin a supprimé, cette année, 49 postes de remplaçants)? Ce n’est pas ce que demandent nos collègues ! Ce n’est pas ce que porte le SNUipp-FSU.
D’autre part, un calcul effectué par le café pédagogique estime que la proposition de loi coûterait environ 2 000 postes. Il est à craindre que cela se fasse à moyens constants, comme on en a l’habitude dans l’Education Nationale.
L’indemnité de direction serait augmentée de 150€ bruts par mois (pour les écoles de 1 à 3 classes), 220€ (de 4 à 9 classes), 270€ (de 10 à 13 classes) et 300€ au delà de 13 classes.
Si l’article 2 envisage un « avancement de carrière spécifique en favorisant une progression de carrière accélérée en dehors des contingents réservés aux enseignants », chacun a bien conscience qu’aujourd’hui l’avancement de carrière se fait au « mérite » que leur reconnaîssent les contingents fixés par le ministère.
Pour quelles contreparties ?
Un emploi fonctionnel…
On vient de le voir, les directeurs risquent fort d’être (encore plus qu’aujourd’hui) taillables et corvéables.
En échange de ces « améliorations », l’article 2 crée un « emploi fonctionnel pour les directeurs d’école ». Il n’y aurait donc pas de nouveau corps. Les directeurs resteraient des professeurs des écoles recrutés sur l’équivalent de poste à profil. Certes, la proposition de loi n’évoque pas l’idée de créer un nouveau statut pour les directeurs (le gouvernement a retenu la leçon des mobilisations de 2019), mais cet emploi fonctionnel est une première brèche dans la nomination des directeurs d’école. D’autant qu’il s’agira de postes profilés échappant au contrôle des CAPD ; les perspectives de carrière devenant individualisées.
« Leurs missions premières sont d’administrer, de piloter le projet pédagogique et d’organiser la vie de l’école » (art 2).
Quant à leur rôle, les choses ne sont pas claires voire contradictoires. L’article 1 précise que « le directeur est responsable des biens et des personnes durant le temps scolaire. Il a autorité pour prendre des décisions en lien avec ses différentes missions ainsi que sur les personnels qui sont sous sa responsabilité durant le temps scolaire, sans en être le responsable hiérarchique, qui demeure l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) pour les enseignants et la commune pour les personnels municipaux ».
Le directeur aurait autorité dans l’école sur les personnels mais ne serait pas leur responsable hiérarchique ?
… cadré par une feuille de route
L’article 2 précise que le directeur aura une « feuille de route qui pourra, par exemple, être personnalisée par le DASEN pour tenir compte des compétences du directeurs, des spécificités du poste, du projet d’école ou encore des particularités territoriales ». D’une part, cela justifiera la multiplication sans fin des missions des directeurs. D’autre part, le terme de « particularités territoriales » est particulièrement préoccupant car si, on le sait, la réalité d’une école de RPI de 2 classes et celle d’une école de 18 classes est différentes, un cadrage national des obligations réglementaires de service (les « devoirs ») et des droits des personnels est indispensable pour garantir l’égalité de traitement de chaque fonctionnaire d’État. Dans la même logique, c’est le cadrage national des programmes qui garantit l’égalité des élèves devant l’éducation.
Cette feuille de route est, pour le ministère, indispensable pour mettre en œuvre sa politique éducative, pour s’assurer de sa bonne application. Les directeurs deviendront donc des pilotes au plus près des personnels et pleinement investis d’une « délégation de l’autorité académique » pour pouvoir imposer des normes. De fait, ils seront étroitement encadrés et leurs pratiques devront se conformer à des batterie d’indicateurs jugés par le DASEN comme « indispensables », « nécessaires » ou « utiles ».
Cette proposition de loi accentue le « new management » dans le 1er degré (pour les directeurs comme pour les adjoints) mettant à mal notre fonctionnement qui place au coeur l’équipe enseignante comme collectif de travail.
Accentuation de la territorialisation et de l’attaque du caractère national de l’école
L’article 4 prévoit que les directeurs d’un établissement scolaire puissent « cumuler la responsabilité de l’organisation du temps périscolaire confiée par la commune ou le groupement de communes dont relève l’école ». Cette disposition existe déjà dans le code de l’Education. Elle est en vigueur dans plusieurs grandes villes. Mais le texte laisse entendre que les directeurs pourront aller un peu lus loin que la simple gestion des effectifs de cantine, d’études, …
La confusion entre les missions qui relèvent des collectivités territoriales et de l’État peut marquer une nouvelle étape vers la territorialisation du système éducatif. L’exposé des motifs détaillant, notamment, qu’en cas de dysfonctionnement, les directeurs pourront prendre toute décision et devront en rendre compte à l’autorité académique et au maire va en ce sens.
toujours pas d’allègement des taches ni d’aide administrative garantie
Pour ce qui est de l’aide administrative, aucun moyen humain supplémentaire n’est prévu (l’article 4 propose aux collectivités « ayant la compétence scolaire de mettre à disposition du directeur d’école une aide de conciergerie ou une aide administrative, en fonction des besoins exprimés par le conseil d’école »). L’aide administrative ne peut relever du bon vouloir et des moyens financiers des communes. Il doit être garanti par l’État afin de ne pas renforcer les iniquités entre les écoles.
En tout état de cause, le seul allègement administratif reconnu (art 5) concerne les élections des représentants des parents d’élèves : les « représentants d’une liste unique [pourront] être élus directement sans organisation ni matérielle ni par correspondance des élections ».
Quel directeur peut se satisfaire de telles mesures ? A faire de telles propositions, ne frise-t-on pas le mépris face aux besoins exprimés par les directeurs et constatés par le ministère?
Pour le SNUipp-FSU 67, cette proposition de loi ne répond pas aux exigences des directeurs d’école que nous portons. L’amélioration des décharges, la reconnaissance salariale doivent être effectives et immédiates. Mais, elles ne peuvent pas être soumises la contrepartie de la création d’un emploi fonctionnel exigée par la proposition de loi qui ouvre la brèche à la création d’un statut de directeur (première marche des EPEP), qui individualise encore plus leurs missions, et ne règle en rien la lourdeur des taches qui leur est imposée.
D’autre part, cette nouvelle « fonction de directeur d’école » aura des conséquences importantes sur les équipes puisque le directeur aura le pouvoir d’organiser leur service et de prendre (et d’imposer) toutes les décisions qu’il jugera nécessaires pour le fonctionnement de l’école. Le SNUipp-FSU porte l’idée d’une école coopérative à l’opposé des germes de cette proposition de loi.