Historique la revalorisation de Blanquer ? Elle n’a concerné que 33 % des enseignant·es et est bien loin de compenser la chute du salaire réel du fait du gel du point d’indice et de l’augmentation des cotisations sociales. Alors que la crise du recrutement témoigne du manque d’attractivité du métier, le gouvernement écarte toute possibilité du dégel du point d’indice et vante le salaire  « au mérite ». Les enseignant·es les plus « méritant·es », distingué·es par la hiérarchie (avec tout le risque d’arbitraire que comporte cette évaluation)  bénéficieraient de quelques miettes distribuées sous forme de primes. La mesure qui ne coûtera pas grand-chose au gouvernement, fournit en revanche un outil de division des collègues. Face à la volonté du ministre de diviser et de mettre en concurrence les profs, la FSU s’engagera dans la construction de mobilisations collectives à même d’arracher au gouvernement le dégel du point, des mesures de rattrapage de salaires immédiates et de s’opposer à la mise en place d’un système de retraite par points auquel le gouvernement n’a pas renoncé. Retour sur 40 ans de politique de « dévalorisation » des enseignant·es avec  Bernard Schwengler, auteur de l’ouvrage Salaire des enseignants : la chute*.  

Question :  C’est donc bien vrai ? Le pouvoir d’achat des enseignants a chuté depuis 40 ans ?

C’est vrai pour toutes les catégories d’enseignants. C’est variable selon les niveaux d’ancienneté, selon les corps, mais cela va de quelques % à -25%. Dans la majorité des cas, la baisse est supérieure à 20%. Il y a une petite nuance pour les enseignants de l’école primaire qui ont été revalorisés au cours des années 90 lors du passage du statut d’instituteur au statut de professeur des écoles, revalorisations reperdues par la suite.

Quels sont les éléments qui ont contribué à cette chute ?

Le premier c’est la perte de valeur du point d’indice qui atteint tous les corps des fonctionnaires puisqu’il est utilisé pour calculer le traitement indiciaire brut de toutes les catégories de fonctionnaires aussi bien d’état, fonctionnaires hospitaliers et fonctionnaires territoriaux. Depuis 1983 et jusqu’en 2011, il est revalorisé moins rapidement que l’inflation, donc il a perdu en valeur. Depuis 2011, il n’est plus revalorisé du tout, à part les deux revalorisations de 2016 et 2017 d’environ 0,6%. Globalement, il a perdu 21% de sa valeur en 40 ans. L’autre élément c’est l’augmentation des retenues sociales qui a été progressive mais qui dans l’ensemble a été relativement forte. Si on prend l’ensemble des 40 dernières années, la cotisation pour la pension civile a été augmentée, la cotisation pour la pension maladie a été remplacée par la CSG et la CSG a été également plusieurs fois augmentée.  Si on tient compte de l’effet perte de valeur du point d’indice et augmentation des cotisations sociales, les salaires ont globalement chuté de 28%.

La requalification et les revalorisations ont-elles masqué une perte réelle du pouvoir d’achat ?

En même temps que cette perte, il y a eu plusieurs périodes de revalorisation des carrières qui n’ont pas été uniformes. Mais d’une façon générale, les effets de ces revalorisations ont été moins fortes que les effets de la perte de valeur du point d’indice et de la hausse des cotisations. Avec ces revalorisations, les grilles indiciaires étaient poussées vers le haut. Pour simplifier, les enseignants ont de plus en plus de points d’indice à un niveau d’ancienneté équivalent, mais le point d’indice n’étant pas revalorisé, les augmentations sont moindres. En 1982, au moment du recrutement un professeur certifié au premier échelon, était à l’indice 335. A l’heure actuelle en 2021 un professeur certifié est à l’indice 390 au premier échelon, donc à un niveau plus élevé.  Mais comme la valeur du point d’indice est plus faible aujourd’hui qu’en 1982, globalement il est même perdant. Il y a une « impression » d’augmentation puisque nominalement ç’est le cas mais en réalité cela a baissé parce que l’augmentation nominale est plus que compensée par la perte de valeur du point d’indice.  Et on peut dire également la même chose et c’est moins connu concernant la création des échelons d’avancement, la hors classe et la classe exceptionnelle qui sont des grades à accès limité, même si progressivement l’accès a tendance à se généraliser.  En supposant que tout le monde termine sa carrière à l’échelon le plus élevé de la hors classe, cela correspond malgré tout à une rémunération plus faible qu’être au 11e échelon de la classe normale en 1982.

Les rémunérations des enseignants sont-elles globalement tirées vers le bas ?

La perte de valeur du point d’indice et la hausse des cotisations sont uniformes. Mais les revalorisations ont été faites avec des ampleurs différentes. Et ce sont les catégories qui avaient les grilles indiciaires les plus basses, les PLP et les PE, qui ont été le plus revalorisées créant ainsi un resserrement des écarts avec un alignement vers le bas. Les professeurs certifiés aujourd’hui sont à peu près au même niveau de rémunération en réel que les instituteurs et les professeurs d’enseignement technique en 1982. Les professeurs agrégés aujourd’hui sont à peu près au même niveau de rémunération que les professeurs certifiés en 1982. Les professeurs d’université sont ceux dont les rémunérations ont le plus baissé.

Vous parlez d’illusion monétaire, d’illusion de hausse, pourquoi aussi peu de réaction de la part des enseignants ?

Premièrement, il s’agit d’une diminution du salaire réel mais pas du salaire nominal, celui qui apparait sur la fiche de paie et qui augmente moins rapidement que l’inflation. Quand on voit le chiffre des salaires nominaux aujourd’hui, bien sûr qu’ils sont plus élevés qu’ils ne l’étaient en 1982. La baisse a lieu par rapport à l’inflation car de 1982 à aujourd’hui, les prix ont été multipliés par environ 2,15.  Deuxièmement, cette baisse a lieu à niveau d’ancienneté équivalent. D’un point de vue individuel, les avancements de carrière font que, en réel, quelqu’un qui est devenu enseignant il y a dix ans gagne plus aujourd’hui qu’il y a dix ans, dans la mesure où entre 2011 et 2020, il a forcément changé d’échelon. Mais quelqu’un qui devient enseignant aujourd’hui gagne comparativement moins, au premier échelon, que quelqu’un qui devenait enseignant il y a dix ans. Depuis que le point d’indice est gelé, les seules augmentations, même nominales, interviennent quand on change d’échelon. Et entre deux changements d’échelon, il suffit qu’il y ait une hausse des cotisations pour qu’on sente la baisse. Un mécanisme a été mis en place pour compenser ces diminutions, c’est l’indemnité GIPA qui intervient quand quelqu’un n’a pas changé d’échelon pendant 4 ans. En fait, d’un point de vue « individuel », entre les promotions et la GIPA, le salaire ne baisse pas. La baisse apparait de façon très forte quand on compare des personnes à des périodes différentes aux mêmes niveaux d’ancienneté. Cette baisse du pouvoir d’achat est ressentie, pour le logement par exemple, mais de façon diffuse. Et pas de la même façon par tout le monde. Et pas dans des proportions qui correspondent forcément à ce qui se passe réellement. S’il y a effectivement un sentiment de déclassement chez les enseignants, il est très difficile de ressentir les évolutions dans les proportions où elles ont eu lieu effectivement.

La situation est-elle la même chez les autres fonctionnaires non enseignants ?

La situation n’est pas la même parce que d’une façon générale ces dernières décennies, ce que l’on appelle les rémunérations annexes, ou les primes, ont augmenté dans l’ensemble de la FP. Mais elles ont augmenté beaucoup moins pour les enseignants que pour les autres catégories. Quand on compare des corps de niveau hiérarchique équivalent, par exemple les professeurs certifiés qui sont de niveau A type et les fonctionnaires d’état de niveau A type non enseignants, comme les attachés ou les inspecteurs, on constate que les rémunérations annexes ont fortement augmenté chez ces catégories et très peu chez les professeurs certifiés. La perte du traitement indiciaire brut qui a lieu chez tous les fonctionnaires et de façon assez parallèle, est compensée par l’augmentation des rémunérations annexes chez les catégories où elles ont beaucoup augmenté.

Quelles conséquences pour les pensions des enseignants avec la réforme des retraites prévue par le gouvernement ?

Dans cette réforme pour les fonctionnaires, et pas que les enseignants, il y a deux  mouvements. Premièrement le montant des retraites ne sera plus calculé sur le traitement indiciaire brut des 6 derniers mois, mais sur le traitement indiciaire de l’ensemble de la carrière ce qui correspond à une référence forcément beaucoup moins intéressante. Ça c’est l’élément négatif. Mais par ailleurs c’est compensé par un autre mouvement qui en principe est positif. Désormais pour le calcul du montant des retraites, on prendrait en compte non seulement le traitement indiciaire brut mais l’ensemble du salaire et donc également les primes. Pour les enseignants, l’élément positif est beaucoup plus faible que l’élément négatif du fait de la faiblesse des primes. Avec cette réforme des retraites, les enseignants seront très fortement perdants. Le ministère l’avait repéré depuis le début puisqu’il avait été décidé l’augmentation des primes des enseignants. Certaines ont été annoncées mais le retard pris est tellement considérable que sur la base des données actuelles, cette réforme des retraites aura des effets très importants pour le niveau des retraites des enseignants.  Autre donnée à prendre en compte : le montant des retraites sera indexé sur les salaires. Tout dépendra donc de la façon dont les salaires vont évoluer. Si dans les 30 ou 40 années qui viennent le PIB augmente très lentement, et si les revenus dans leur ensemble augmentent aussi très lentement, le montant des retraites des enseignants sera beaucoup plus bas. Ça se fera sentir progressivement mais au bout du compte c’est très réel ! Les effets « baisse » dans leur totalité se feront sentir pour les générations qui arriveront à la retraite aux alentours de 2060…et qui sont donc en train d’entrer actuellement dans le métier d’enseignement.  J’ai estimé les effets de la baisse à 33% pour les professeurs des écoles.

*Bernard Schwengler est docteur en sciences politiques. Il enseigne les sciences économiques et sociales. Il vient de publier « Salaires des enseignants : La chute » aux éditions l’Harmattan. L’ouvrage analyse l’évolution des salaires des enseignants des années 1980 à nos jours. Il montre que malgré les revalorisations dont ils ont fait l’objet ces dernières décennies, les salaires des enseignants ont baissé. Si l’ampleur du phénomène varie selon les catégories d’enseignants, elles ont toutes été touchées.