Edito : thérapie de choc pour les services publics et l’éducation ?

 

Une réouverture des établissements scolaires dans le flou et la précipitation

 

Les écoles ont rouvert progressivement à compter du 11 mai en attendant une probable reprise des collégiens et lycéens au mois de juin selon un calendrier et des modalités qui restent à préciser. Cette réouverture des établissements scolaires s’est faite dans la précipitation et la cacophonie, Jean-Michel Blanquer devançant les annonces officielles du Premier ministre et précisant qu’elle serait obligatoire pour les élèves avant de revenir sur son propos quelques jours plus tard… Le protocole sanitaire a été publié le dimanche 3 mai en fin de journée, laissant quelques jours seulement aux directeurs.trices, enseignant.es, AESH, ATSEM et agent.es d’entretien pour nettoyer les locaux et les adapter aux règles sanitaires. Dans l’académie de Strasbourg, la FSU a revendiqué et obtenu deux jours de pré-rentrée pour les enseignants du premier degré. L’application du protocole se heurte cependant à des problèmes matériels (exiguïté des salles de classes, manque de points d’eau et de sanitaires) et au manque de personnel. La crise sanitaire agit à l’école comme à l’hôpital comme un révélateur de l’échec de politiques d’austérité et d’une gestion managériale qui ont favorisé la réduction des dépenses au détriment de la qualité du service public. 

Un premier bilan de la réouverture des écoles dans l’Académie montre une grande disparité dans l’application du protocole, ce dernier étant parfois interprété à la légère (lire ici les premiers retours de l’enquête du Snuipp-Fsu 67). Les directeur.s.trices et enseignant.es ont subi les pressions des Ien et de certain.es élu.es afin que les écoles rouvrent au plus vite, quitte à réduire l’école à un service de garderie ou à adapter le protocole sanitaire! Ils ont également essuyé la colère de parents d’élèves qui ne comprenaient pas pourquoi leur enfant n’était pas accueilli à l’école. Comme toujours, c’est à eux, sur le terrain, de gérer les pressions qui tombent de toutes parts.  Afin de pallier le manque de moyens, il a parfois été demandé aux enseignant.es ou AESH de participer à l’accueil périscolaire ou au nettoyage des locaux, au mépris de leurs obligations réglementaires de service. 

Dans le second degré, le flou persiste en ce qui concerne la date ainsi que les modalités d’une reprise que les équipes cherchent à anticiper. Dans certains établissements, les principaux ou proviseurs ont cherché à imposer aux collègues des réunions en présentiel alors que les locaux n’avaient pas été nettoyés et que les masques n’avaient pas été livrés. Ils y ont renoncé face aux réserves émises par les collègues. La question des masques de protection nourrit des inquiétudes légitimes. Après avoir martelé que les masques ne servaient à rien (voire qu’ils étaient dangereux), le gouvernement a fini par admettre leur utilité.  Le protocole prévoit deux masques « grand public » par jour par agent (la FSU revendique des masques chirurgicaux qui offrent une protection plus importante et qui sont plus adaptés à l’enseignement). Dans certains établissements les deux masques par jour se sont transformés en deux masques lavables en tout et pour tout…. A charge pour les agent.es et les élèves de les laver quotidiennement ou d’en acheter d’autres ? C’est oublier que c’est à l’employeur qu’incombe la protection des personnels et que l’éducation est gratuite. Faut-il voir dans cette adaptation du protocole une preuve supplémentaire des pénuries de masques que le gouvernement s’efforce de dissimuler ? La main invisible du marché, chère au président et au gouvernement, aurait-elle failli dans la production et l’approvisionnement du matériel de protection ? 

 

Le dialogue social à l’ère du Covid-19 entre surdité, monologue social et mépris

 

La réouverture des établissements scolaires est un enjeu fondamental tant sur le plan sanitaire que pédagogique qui aurait nécessité d’y associer agents et parents. Or dans le premier degré, les conseils d’école ont (tout au plus) été informés sur l’application du protocole sanitaire. Dans le second degré, des chefs d’établissements sont réticents à réunir des CA et/ou des CHS et cherchent à imposer aux équipes pédagogiques des dispositions contraires à leurs missions (en leur demandant notamment de cumuler travail à distance et en présentiel). Au niveau académique la rectrice  a réuni pas moins de cinq CHSCTA sans être capable d’apporter des réponses précises aux questions des représentant.es de la FSU concernant la sécurité et la santé des personnels. Face aux inquiétudes et interrogations légitimes des personnels concernant la réouverture des établissements, elle a laissé entendre que dans la mesure où les agent.es avaient été payé.es durant le confinement, ils/elles se devaient de reprendre en présentiel sans discuter. Cette remarque qui assimile la période de confinement à une villégiature dorée montre le mépris de la Rectrice pour le travail considérable accompli par les personnels avec leur matériel personnel dans le cadre du télétravail et de l’enseignement à distance  

 

Une école d’après… pire que celle d’avant ? 

 

La crise sanitaire servira-t-elle de prétexte à une nouvelle attaque contre les services publics et les droits des agents comme en 2008 lors de la crise économique ? On ne peut que s’étonner du décalage entre le discours du gouvernement, remettant en cause du jour au lendemain un néolibéralisme  qu’il adulait la veille (souvenez-vous de Macron célébrant les fonctionnaires et estimant que certains biens et services étaient trop précieux pour être soumis à la loi du marché), et une politique qui ne rompt en rien avec le libéralisme. La crise sanitaire a certes obligé le gouvernement à ouvrir des négociations sur les salaires des soignant.es, mais les fermetures de services ou d’hôpitaux restent à l’ordre du jour (elles sont simplement reportées) et la proposition du gouvernement d’ « assouplir » les 35 heures à l’hôpital est absurde. Les soignant.es, épuisé.es, ne demandent pas à travailler plus mais mieux (ce qui nécessite des embauches). La proposition du gouvernement de donner aux salarié.es la possibilité d’ « offrir » des jours de congés aux soignant.es est déplacée alors que le gouvernement a versé des milliards aux entreprises du CAC 40 sans contrepartie (tout au plus a-t-il demandé aux entreprises de ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires, mais c’est une simple recommandation). Il s’agit comme en 2008, de socialiser les pertes et de privatiser les bénéfices. 

Dans l’éducation, Jean-Michel Banquer cherche à instrumentaliser la crise, pour achever de mettre en place son projet éducatif, celui d’une école low-cost et rétrograde se limitant aux fondamentaux. Ainsi le gouvernement cherche-t-il à développer l’enseignement à distance (cf le projet de loi concernant l’enseignement distanciel numérique) pour le plus grand bonheur des géants privés du numérique qui lorgnent sur le marché de l’éducation. Le ministre Blanquer avait pourtant  été obligé d’admettre que l’école à distance avait aggravé les inégalités et qu’elle ne pouvait se substituer à l’interaction entre un enseignant et ses élèves dans le cadre d’un enseignement en présentiel. La crise sert également de prétexte à l’externalisation progressive des activités artistiques et sportives dans le cadre du dispositif 2S2C (Sport, Santé, Culture, Civisme). Des associations proposeraient sur le temps de l’après-midi des activités culturelles et sportives destinées aux élèves du premier et du second degré. Avec le risque à terme que ces activités périscolaires se substituent aux enseignements disciplinaires (EPS , arts plastiques, éducation musicale) dispensés à tous les élèves dans le cadre du service public. Pour la FSU, l’école d’après ne doit pas ressembler à l’école d’avant… en pire. Alors que la crise actuelle a mis en avant le rôle indispensable des services publics et des « premiers de corvée », ces propositions sont un contresens historique. Pour la FSU, le XXIème siècle doit être l’âge d’or des services publics et de la Fonction publique.  Mobilisée aux côtés des agents pour défendre leurs droits et leur sécurité en cette période de crise sanitaire, la FSU continuera de se battre pour une école et une société justes, solidaires et démocratiques.